Les risques médicaux du ChemSex et du SLAM
Article d’origine : CHV //
Depuis une dizaine d’années, des Nouveaux Produits de Synthèse (NPS), plus de 450 au niveau européen, sont apparus sur le marché des drogues récréatives et ils comprennent principalement les cathinones de synthèse (4-MEC, 3-MMC…), les phénétylamines (MDMA, amphétamines) et les cannabinoïdes de synthèse, mais aussi des dérivés de pipérazines (BZP, mCPPP), les tryptamines (DMT) ou de nouveaux opioïdes.
Parmi les cathinones, la méphédrone (4MMC) a été le dérivé qui a suscité le plus d’engouement dans le milieu festif gay. À la suite de plusieurs décès, cette drogue a été classée comme stupéfiant en 2010. Elle a été remplacée par un grand nombre de molécules, de structure chimiques voisines et aux effets approchants (4-MEC, 3-MMC, methylone, buphédrone, MDPV, 3,4 DMMC, pentedrone, butylone, etc.), vendues sur de nombreux sites internets, entre 8 et 20 euros/gr, où ces produits sont souvent désignés comme « Research chemicals » ou « Designer drugs » ou « sels de bain » (en poudre, cristaux, comprimés..). Tous les dérivés des cathinones ont été classés comme stupéfiants en 2012.
Les NPS commandés ne sont pas forcément ceux qui sont reçus et consommés
La méphédrone et ses dérivés provoqueraient une libération spectaculaire mais de courte durée de la sérotonine, de la noradrénaline et/ou de la dopamine dans le cerveau (selon NPS), supérieure à celle induite par la MDMA (ecstasy) et à beaucoup d’amphétamines, ce qui expliquerait le potentiel très addictif de ces molécules (1-2).
Ces NPS d’accès facile (reçus à domicile) sont utilisés au départ en contexte sexuel par les HSH, parfois séropositifs au VIH, pour la désinhibition, l’exaltation, l’euphorie, l’empathie, l’augmentation de l’endurance et du plaisir sexuel, et pour expérimenter de nouvelles pratiques hard, dans des soirées de groupe privées en majorité (réseaux sociaux). Les hétérosexuels usagers de drogues prennent ou s’injectent aussi ces NPS, mais plus rarement en contexte sexuel, avec moins de risques de transmission d’IST et d’hépatites.
Ces produits peuvent être sniffés, avalés, ou injectés par voie Intramusculaire ou Intraveineuse (SLAM – effet le plus fort et le plus rapide) ou par voie rectale. Ceux qui sniffent ou avalent au départ finissent souvent par injecter les produits, pour ressentir un effet plus fort. Ces personnes qui n’avaient pas en général l’habitude d’injecter des drogues connaissent mal les techniques de Réduction des Risques (seringues, filtres, cuillères) ou les oublient au fur et à mesure des soirées, d’où le risque de transmission de VHC et de VIH, par les échanges de seringues ou par voie sexuelle, ainsi que par des lésions aux bras lors des fist. Les bonnes intentions d’utiliser un préservatif ou des gants sont souvent mises à mal au cours d’une session par la confusion induite par les substances et leur mélange, d’où la transmission d’IST, dont des infections ulcératives, des infections généralisées et des ulcérations génitales., la syphilis, l’herpès, qui favorisent les transmissions du VIH et du VHC. Les incidences de réinfection au VHC à Paris (et grandes villes) sont élevées (21,8/100) et il est estimé que 25 % de patients HSH porteurs du VIH se réinfectent par le VHC à 3 ans (3).
Ces NPS créent une forte dépendance, avec un craving important, ce qui entraine des consommations de plus en plus fréquentes (parfois 1 injection/30 minutes, toute la nuit, voire plus) lors d’une session chemsex, qui peut durer 2 ou 3 jours.
Les effets indésirables sont, selon les NPS : soif, fatigue, pupilles dilatées, augmentation du rythme cardiaque, tremblements, grincement de dents, nausées, vomissements, respiration haletante, anxiété, sueurs, contraction constante et involontaire des muscles de la mâchoire, saignement de nez, bad trip (panique, hallucinations, idées suicidaires…), disparition des sensations de faim et de soif (4). La tolérance aux produits étant très rapide, il faut augmenter les doses et le nombre d’injections pour ressentir le même effet, avec un risque de surdose et d’overdose. Plusieurs décès ont été rapportés avec chacun de ces NPS (souvent mélangés entre eux, plus du GHB et des stimulants érectiles).
Les complications aigües ou à plus ou moins long terme sont une toxicité cardiaque (tachycardie, hypertension, myocardite, Infarctus du myocarde), une toxicité neurologique (convulsions, AVC), des effets psychiatriques (forte paranoïa, crises persécutives, agitation, agressivité, dépression), ainsi que selon les NPS, hyperthermie, hyponatrémie (concentration en sodium dans le plasma sanguin), destruction du tissu musculaire au sein des muscles dits striés, insuffisance rénale, insuffisance hépatique, perte de poids, les complications infectieuses liées au Slam (abcès, septicémies..) et la sclérose du réseau veineux.(5, 6, 7, 8).
Le risque principal de ces nouveaux produits de synthèse et de leur mélange est le syndrome sérotoninergique (excès de sérotonine au niveau cérébral), qui peut entrainer coma et décès. Le syndrome sérotoninergique regroupe un ensemble de symptômes pouvant nécessiter l’hospitalisation et un traitement symptomatique. Ces symptômes peuvent être d’ordre psychique (agitation, confusion, hypomanie, voire coma), végétatifs (hypotension ou hypertension, tachycardie, frissons, hyperthermie, sudation), moteurs (myoclonies ou contractions musculaires brutales et involontaires, tremblements, hyperréflexie, rigidité musculaire, hyperactivité), digestifs (diarrhée). Dans les formes sévères, il existe un risque de convulsions, de coma, de destruction du tissu musculaire et le décès peut survenir des suites d’une défaillance multiviscérale ou par anoxie (souffrance cellulaire induite par le manque de dioxygène) cérébrale dans les cas les plus sévères.
En ce qui concerne les interactions entre ces NPS et les antirétroviraux, une étude s’est intéressée plus spécifiquement aux interactions entre NPS et ritonavir et cobicistat, deux boosters présents dans certains traitements antirétroviraux (avec Prezista, Stribild, Genvoya), avec un risque d’interaction (augmentation du taux de drogues, de son effet et risque accru d’overdose). Parmi les drogues concernées, le crystal meth, la MDMA, la méphedrone et ses dérivés, la kétamine (9).
La durée d’action de ces produits est de 30 mn à 5 heures, avec un retour à la normale très variable d’un individu à l’autre. La phase de « descente » dure en moyenne 48 heures, marquée par une grande fatigue, des troubles de la concentration, des palpitations, de l’anxiété, des céphalées et un syndrome dépressif. Certains décrivent des descentes plus longues, avec angoisse massive, paranoïa et des sensations de décharges électriques intracérébrales ou brainzapping.
Des troubles psychiatriques sévères ont été observés comme des attaques de panique, des bouffées délirantes « persécutives », une insomnie rebelle ou des états submaniaques pouvant conduire à des tentatives de suicide, des auto-mutilations ou à des agressions.
Il n’est pas rare de retrouver des difficultés d’observance aux traitements antirétroviraux avec oublis ou rupture de traitement chez des patients jusque-là bien observants.
Les slameurs ne se reconnaissent pas comme toxicomanes, ils ont l’impression de « gérer », de « tester et s’amuser » avec la sensation de pouvoir tout arrêter facilement. Pourtant, rapidement, l’injection des NPS peut être dissociée du contexte sexuel et les slameurs ayant « perdu le contrôle » s’injectent aussi les produits seuls chez eux, sur leur lieu de travail.
Sur le plan social, de nombreux usagers jusque-là bien insérés décrivent un cercle amical de plus en plus restreint aux autres consommateurs, le sexe devenant un prétexte à l’injection de NPS, des ruptures de couple, ainsi que des difficultés professionnelles (absences itératives, arrêts de travail renouvelés, pertes de performance, voire perte d’emploi).
La désocialisation et la perte d’emploi sont plus redoutés que les problèmes de santé par les usagers comme le montre l’enquête SLAM de Aides (10).
L’arrêt de l’usage est décidé par l’usager lorsqu’il fait le constat de son incapacité à contrôler sa consommation. Mais ce constat est difficile, et les rechutes fréquentes car beaucoup n’envisagent pas/plus de sexualité sans produits.
Il n’existerait pas de vraie dépendance physique (selon la littérature), ce qui permettrait un sevrage physique ambulatoire (sans hospitalisation) même si certains symptômes ont été décrits en cas d’arrêt brutal : tremblements, frissons, baisse de la température et sentiment de paranoïa (4). Mais dans la vraie vie, le pouvoir addictogène de certains NPS rend le sevrage très difficile.
Repérage et Gestion des risques
Les médecins et soignants (infirmiers, psychologues, médecin traitant..) impliqués dans le suivi des Hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) vivant avec le VIH doivent être en capacité d’identifier ces pratiques et d’orienter la personne. Devant des hématomes et/ou des abcès sur les bras ou jambes, une perte de poids, un changement d’humeur, une remontée de la charge virale, une Altération de l’Etat Général, des demandes répétées d’arrêts de travail, des dépistages positifs répétés d’IST, une réinfection par le VHC, il est recommandé de poser des questions directes sur la consommation de produits et d’adresser la personne au psychologue, psychiatre, sexologue, addictologue, Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues (CAARUD) ainsi qu’aux associations de soutien, selon les demandes, besoins et ressources locales. Le repérage précoce de consommation de substances psychoactives et les interventions brèves peuvent être facilitées par l’outil d’aide au repérage précoce de la HAS pour l’alcool et le cannabis, qu’il faut adapter aux NPS et au chemsex (11, 12).
Comme le montrent les enquêtes, la principale demande au début est de mieux maitriser la technique des injections, il convient donc d’orienter les consommateurs vers les CAARUD, CSAPA, salles de consommation à moindres risques, associations avec programme AERLI (13).
D’autres demandes courantes sont de recevoir une aide pour mieux gérer la poursuite des consommations et non de l’arrêter et il faut prendre en compte l’addiction sexuelle (addictologue en relation avec un sexologue).
Les consultations spécialisées « Slam et chemsex » existent à Paris et dans certaines grandes villes (Centre de santé sexuelle le 190, l’hôpital Marmottan, la clinique Montevideo, le Checkpoint, le Spot (Paris et Marseille) et certains CSAPA hospitaliers ou non), services d’addictologie hospitaliers, CeGGID. De nombreux addictologues se forment, notamment avec l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA).
Sur le plan thérapeutique, la préparation au changement est longue, car l’ambivalence entre arrêter ces produits et les continuer semble venir de l’incapacité à envisager une sexualité sans injections, encore moins sans produit.
Des thérapies brèves comme les entretiens motivationnels ou les approches cognitivo- comportementales peuvent être bénéfiques. L’identification, l’exploration et la résolution de cette ambivalence permettent au patient de changer de comportement. La personne trouve elle-même ses objectifs et les arguments pour le changement.
Certains préfèreront les groupes d’auto-support (Narcotiques Anonymes et Dépendant Affectif et sexuel, plateforme d’ AutoSupport des Usagers de Drogues – ASUD)
Les sevrages, le plus souvent ambulatoires, doivent s’accompagner d’un suivi médical et psychologique très régulier, pour anticiper les rechutes.
Le déficit d’outils de RdR adaptés, la diversité des NPS (> 450 substances), leur vitesse de renouvellement (2 nouveaux NPS par semaine) et ce contexte d’addiction sexuelle rendent caduques les anciens schémas d’interventions de RdR. Les acteurs de RdR (CSAPA, CAARUD, addictologues et associations) tentent de définir de façon urgente une RdR adaptée. Des recherches observationnelles sont nécessaires pour quantifier le phénomène et affiner ses caractéristiques (majorité de PVVIH, place de l’addiction sexuelle), afin de pouvoir développer et adapter la prise en charge.
Suite à plusieurs cas de décès liés à l’usage de drogue dans un contexte sexuel, AIDES a décidé de mettre en place un réseau national d’entraide communautaire pour les usagers de Chemsex, leurs proches, leurs partenaires.
Ce réseau comprend :
- Un numéro d’appel d’urgence : 01 77 93 97 77
- Une offre anonyme via l’application WhatsApp : 07 62 93 22 29
- Un groupe de discussion fermé Facebook dédié au Chemsex : Info Chemsex (by AIDES)
Ce réseau est destiné à gérer les situations qui requièrent une prise en charge immédiate: surdosage, surconsommation, état de mal-être physique ou psychologique (bad trip, angoisse, descente), prise de risques à VIH ou hépatites, modification et altération du comportement préventif, sentiment d’isolement, interactions entre les produits psychoactifs et les traitements à VIH, conséquences délétères de la consommation sur la santé, l’environnement familial, social et professionnel.
Marianne L’Hénaff
Références
(1) Liechti M. Novel psychoactive substances (designer drugs): overview and pharmacology of modulators of monoamine signaling. Swiss Med Wkly. 2015 Jan 14;145:w14043. doi: 10.4414/smw.2015.14043. eCollection 2015.
(2) Miliano C, Serpelloni G, Rimondo C et al. Neuropharmacology of New Psychoactive Substances (NPS): Focus on the Rewarding and Reinforcing Properties of Cannabimimetics and Amphetamine-Like Stimulants. Front Neurosci. 2016 Apr 19;10:153. doi:10.3389/fnins. 2016.00153. Collection 2016.
(3) Martin TC, Ingiliz P, Rodger A et al. HCV reinfection incidence and outcomes among HIV infected MSM in Western Europe. J Hepatol 2016;64:S138
(4) Karila L, Petit A, Cottencin O et al. «Drogues de synthèse : le nouveau cadre low- cost des drogues», Revue du Praticien, 2012, 62, 664-66
(5) Capriola M. Synthetic cathinone abuse. Clinical Pharmacology: Advances and Applications, 2013; 5:109-115.-
(6) Belton P, Sharngoe T, Maguire M et al. Cardiac Infection and Sepsis in 3 Intravenous Bath Salts Drug Users. Clin Inf Dis 2013 Jun;56(11):e102-4
(7) Peyriere H, Jacquet JM, Eiden C et al. Viral and bacterial risks associated with mephedrone abuse in HIV-infected MSM. . AIDS 2013 Nov 28;27(18):2971-2972
(8) Belton p, Sharngoe T, Maguire M et al. Cardiac Infection and Sepsis in 3 Intravenous Bath Salts Drug Users. Clin Inf Dis 2013 Jun;56(11):e102-
(9) Bracchi M, Stuart D, Castles R, Khoo S et al. Increasing use of ‘party drugs’ in people living with HIV on antiretrovirals: a concern for patient safety. AIDS: 24 August 2015 – Volume 29 – Issue 13 – p 1585–1592. doi: 10.1097/QAD.0000000000000786
(10) SLAM Première enquête qualitative en France
(12) Jacquet JM, Donnadieu-Rigole H, Makinson A et al. Repérage précoce & intervention brève (RPIB) en addictologie auprès de PVVIH au CHU de Montpellier : étude transversale de prévalence des consommations d’alcool de tabac et de substances psycho-actives. SFLS. Paris, Octobre 2014. Poster 12.
Programme XVe Congrès de la SFLS, 2014
(13) AERLI = Accompagnement et éducation aux risques liés à l’injection.
Roux P, Le Gall JM, Debrus M et al. Innovative community-based educational face-to- face intervention to reduce HIV, hepatitis C virus and other blood-borne infectious risks in difficult-to-reach people who inject drugs: results from the ANRS-AERLI intervention study. Addiction2016; 111: 94-106.
Liens vers des brochures
> Livret ChemSex à destination des professionnels et intervenants de santé (RESPADD, 2016)
> Nouveaux produits de synthèse (OFDT)
Adresses utiles
> Drogues Info Service 0800 23 13 13 – www.drogues-info-service.fr
> FFA Fédération Française d’Addictologie – www.addictologie.org
> OFDT Observatoire Français des Drogues et toxicomanies – www.ofdt.fr
> La Fédération Addiction – www.federationaddiction.fr
> Association ASUD (Auto Support des Usagers de Drogues): www.asud.org
> Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA): www.anpaa.asso.fr